La CUREY

Un moteur de GS au Bol d’Or

L’aventure CUREY

Gerard CureyInconnue du plus grand nombre, oubliée des autres, l’aventure de Gérard CUREY et de ses acolytes mérite d’être ressuscitée. Bol d’Or, 24 Heures du Mans, ils ont vécu une aventure à taille humaine, loin des ors des écuries aseptisées et de leurs motos d’élevage intensif. Sachez cependant, comme il est précisé un peu plus loin, que l’usine BFG n’a en rien participé a cette aventure.

Gerard CureyDès le milieu des années ’70, un rêve hante les nuits de Gérard CUREY : construire une moto et l’engager en courses d’endurance. Il travaille alors chez Citroën. Un moteur s’impose donc à lui. Fiable, économique, léger, mais placide, le quatraplat GS est embauché. C’est Charles KRAJKA qui fournira une de ses boites spéciales d’origine Moto-Guzzi pour équiper la moto. Fonderie d’origine, mais toute la pignonnerie est à taille droite. Le couple conique est aussi un spécial KRAJKA, à taille droite et arbres concourants. L’allonge du moteur permet le montage d’un pont long, donnant théoriquement 240 km/h à 8500tr/mn.

L’année 1979 est entamée. Il s’agit maintenant de relier cet ensemble motopropulseur à la piste. Le moteur est placé dans un cadre d’origine Moto-Guzzi modifié. Le réservoir d’essence est de la même origine. La CUREY numéro 1 prend forme. Jantes Akront de 18 pouces, rayonnées sur moyeu Guzzi pour l’arrière et sur moyeu Luchier pour l’avant. Le frein arrière est un Brembo alors qu’à l’avant nous trouvons un frein hydraulique radial Luchier d’une efficacité diabolique. Issu de l’aéronautique, le frein Luchier possède des mâchoires en forme de disques, qui viennent en contact avec les flasques du tambour et non avec sa circonférence. Ultérieurement, il fut abandonné au profit d’un double disque Brembo Or. Fourche Cériani, amortisseurs Bitubo, dosseret de selle d’une ancienne Guzzi de course de chez KRAJKA et un compte-tours digital complètent l’équipement de la moto.

La Curey n°1Le moteur 1015 cm3 (74 * 59) développe 50/60 chevaux de trait. Il demande donc a être vitaminé. Pour gaver la cavalerie, un carburateur Weber double corps IDF 44 est installé par rangée de cylindres. Un très libre échappement quatre en un est posé. Les normes de bruit ne sévissent point encore.

Gérard a maintenant une moto roulante. De 240 kgs et de moins de 70 chevaux ! Il reste du travail. L’as du guidon doit faire preuve d’un flegme éprouvé. « C’est encore une moto d’homme, nécessitant de vrais gros bras » commente Gérard 25 ans plus tard.

Nous sommes en 1980. Une prise de contact avec la jeune équipe de La Ravoire qui travaille sur la BFG lui fait comprendre que les deux projets ont des finalités diamétralement opposées. Compétition et performances pour l’un, grand tourisme et fabrication en série pour les autres.

Patrick Piraino, pilote instructeur à La Prévention Routière, avec lui depuis maintenant presque 1 an, se propose comme pilote d’essais bénévole. Puis Jean Claude Conchard, ingénieur mécanicien ESTACA chez Zénith Aviation se joint à l’équipe..

Un objectif est fixé : le programme Endurance 1981. Des partenaires sont trouvés : Le mensuel Moto1, Motul, Zénith/Solex, …et Charles Krajka jamais bien loin.

Le cadre n°2La Curey numéro deux est mise en chantier. Un cadre en CDV6T (Acier SKF) est réalisé par le soudeur Alain Gautré. Il s’agit d’un cadre fortement triangulé, d’inspiration Ducati. Les valeurs de chasse sont proches des celles des « Moto Guzzi Le Mans ». L’empattement est plus court, favorisant la maniabilité. Le moteur est totalement en porte à faux par rapport aux points d’ancrage. Le bras oscillant est lui élargi de 4 centimètres pour laisser passer un pneu de trois pouces et demi. A l’arrière, toujours une jante AKRONT, rayonnée sur un moyeu Guzzi. La fourche est issue de la lointaine très grande production pour débuter. Après le premier réservoir d’origine Guzzi, un réservoir en aluminium soudé est ensuite réalisé sur mesure. Révolutionnaire à l’époque, un système de remplissage rapide est étudié et mis au point par Jean-Claude Conchard pour ce réservoir. Ce système directement issu des mondes aéronautique et spatial permettait à la Curey d’embarquer 24 litres de carburant en 5 secondes sous pression d’azote.

La moto subit une cure d’amaigrissement : fourche et amortisseurs Marzocchi magnésium, freinage Brembo Or, … Le moteur, maintenant un 1300cc, passe entre les mains d’un préparateur réputé pour ses moteurs GS : Condrillier à Nice. Des contacts sont aussi pris avec Maurice Emile Pezous, père des barquettes MEP à moteur GS.

Le vilebrequin étant réputé indestructible, le travail portera essentiellement sur les culasses. Soupapes plus grosses, culbuteurs à rouleau spécial Condrier, toujours les deux carburateurs WEBER. La pression d’huile est forcée à 10 kg/cm2. Le radiateur d’huile d’origine est déplacé face à la route afin de bénéficier du flux d’air frais. L’allumeur, une véritable pièce d’horlogerie, est aussi spécial Conchard. Jean Claude loge dans le corps de l’allumeur d’origine un deuxième rupteur. Les deux rupteurs servent les primaires de deux bobines Haute Tension, l’une pour les cylindres avant, l’autre pour les cylindres arrière.

La Curey n°2Ainsi gréé, le moteur tutoie les 100 chevaux. Avec cependant un léger embonpoint pour ce sympathique prototype. Il n’accuse pas moins de 225 kg sur la balance.

Septembre 1981, le 45ème Bol d’Or au Paul Ricard. Des pilotes se présentent : André Magro et Maurice Coq. La moto porte le numéro 71. La moto ne sera cependant pas qualifiée.

L’équipe se lance alors dans la préparation de 24 Heures du Mans 1982. Un important travail est effectué sur le haut moteur. Les chevaux se présentent en plus grand nombre au portillon, bien que le moteur ait été restreint à 1168cc en raison de l’évolution du règlement limitant la cylindrée à 1200cc. 79,4 * 59, c’est donc un moteur aux côtes super carrées, favorisant donc les « hauts » régimes. Les carburateurs sont maintenant des prototypes horizontaux SOLEX de 36. Dans la recherche d’un centre de gravité le plus bas possible, l’alternateur est déplacé sous le moteur. Le volant moteur a été très très allégé. Un carénage intégral de couleurs bleu, blanc, rouge enrobe le tout.

Curey au 24H 1982Les pilotes sont Bady Hassaïne, A. Guillaud et B. Gitton. La moto, qui porte le numéro 72 dans la Sarthe, est qualifiée. Mais en course, c’est la chute au virage des garages verts.

La décision de courir le Bol d’Or 1983 est prise. Et pour la dernière course car le règlement évoluant encore, la Curey sera définitivement écartée des circuits les années suivantes.

Au-delà du nombre de chevaux présents, environ 105, la préparation concernera donc la fiabilisation. Toujours avec l’idée de recentrer les masses, l’alternateur est encore placé sous le moteur, mais devant la boite de vitesses, entraîné par le volant moteur. Le carénage intégral laisse place à un haut de carénage SECDEM. La culasse est l’objet de toutes les attentions : arbres à cames pointus, soupapes spéciales, … Et toujours l’allumage « spécial Conchard », les carburateurs prototypes en magnésium SOLEX de 36. Charles Krajka, Moto1, Motul, Champion, Solex, Kiwi et quelques autres sont partenaires de l’aventure.

Curey au Bol 1983La moto est engagée au Bol. Au pays du Ricard, elle porte le numéro 51 !

Didier Vuillemin et Luc Caulier seront les pilotes. Moto Revue, dans son numéro d’avant course, qualifie la Curey « de prototype le plus original de ce 47ème Bol d’Or ». Il y a 96 engagés pour 80 places au départ, mais Vuillemin et Caulier se qualifient. Le premier objectif est atteint pour notre équipe. Maintenant, il faut terminer.

L’équipe la plus humble de ce Bol d’Or y parviendra. 480 tours auront été couverts. 31ème de ce Bol d’Or 1983. Sacrée performance pour la petite équipe sans moyens et pour ce brave moteur GS que personne n’attendait dans ce rôle.

Curey au Bol d’Or 1983La CUREY ne sera jamais championne du monde. Elle laisse cela à d’autres. Ses victoires sont ailleurs. Gérard ne sera jamais sacré grand constructeur. Mais sa fierté est ailleurs. Il a réalisé un rêve. Son rêve, aussi fou soit-il. La moto, son concepteur et l’équipe d’amis constituée autour de ce projet sont ensemble sur un podium dont les marches représentent la Passion, l’Amitié et la Technique.

PERELLE Philippe

Crédit photos : 2, 3, 5, 6, 7 Gérard Curey, 1, 4, 8 auteur.